Rubrique de la littérature IndeC’est sur un fond de drame social que ce roman de Preeta Samarasan traduit de l’anglais (Malaisie) nous fait découvrir la diaspora indienne de Malaisie dont les conditions de vie terrible révèle une vérité sur un pays qui, au-delà d’un apparence d'un multicultiralisme affiché, cultive une forme d’apartheid dont les Indiens sont les premières victimes...


Présentation de l'éditeur

D'une force et d'une intensité extrêmes, ce roman servi par une langue somptueuse propose, à travers le destin de trois femmes, la passionnante découverte tant d'un pays, la Malaisie, que d'une région du monde dont on parle peu, et où une diaspora indienne que l'on ne connaît guère a joué et joue encore un rôle considérable.

Et c'est le soir toute la journéeIpoh, Malaisie, 1980. Il y a quelque chose de pourri dans la Grande Maison, demeure de la famille Rajasekharan, une famille de notables appartenant à la minorité indienne.
Homme de loi formé à Oxford, pétri d'espoirs de progrès et d'ambitions politiques, Raju Rajasekharan a épousé dans un beau geste une voisine plus modeste, un tantinet calculatrice, qui ne partage pas son bel esprit et entretient des rapports acrimonieux avec sa méprisante belle-mère. Père de trois enfants, il mène une double vie, entretenant la famille qu'il a clandestinement fondée avec une commerçante chinoise dont il est sincèrement épris. Le jour où sa mère meurt après une chute dans sa baignoire, Aasha, la benjamine, enfant prompte à se réfugier dans la rêverie pour échapper à l'atmosphère pesante de la maison et seul témoin de la scène, accuse injustement la jeune Chellam, domestique tamoule misérable. Elle espère ainsi retenir Uma, sa grande soeur bien-aimée, qui s'apprête, quant à elle, à partir faire ses études aux Etats-Unis, et dont Aasha se figure qu'elle est la vraie responsable de l'accident.

Déjà soupçonnée d'une grossesse indigne parce qu'elle a reçu de l'argent du frère bohème et désargenté de Raju (qui, pris de compassion, l'employait en fait pour repasser ses chemises), Chellam sera — magnanimité obligé —'seulement" renvoyée, et finalement battue à mort par son père alcoolique, devenant ainsi le renvoyée, émissaire, l'emblème de l'injustice, la victime du mensonge "innocent" d'une enfant malheureuse conjugué aux préjugés et à la violence des adultes.

Porté par un style chatoyant, foisonnant d'images, d'odeurs et de saveurs, et par une ironie lucide, Et c'est le soir toute !ajournée, écrit à rebours de la chronologie, remonte à la fois le temps historique et le temps familial, comme pour retrouver le sens et l'origine de l'injustice. Ce grand roman d'analyse nous plonge dans un microcosme dépaysant pour explorer minutieusement les rapports qui lient les êtres entre eux et qui les déterminent.

Par ce premier roman ambitieux, Preeta Samarasan inscrit la Malaisie sur la carte de la littérature mondiale et fait honneur à ses aînés (parmi ses romanciers préférés : Dickens, Rushdie, Graham Swift, Ian McEwan).

Titre : Et c'est le soir toute la journée
Auteur : Preeta Samarasan
Traducteur (anglais Malaisie) : Yoann Gentric
Éditeur : Actes Sud
Date de parution : 9 février 2011
Format : 400 pages - Broché
ISBN : 978-2742794805
Prix public : 23.80€ (22.61€ à la librairie indeaparis.com)

Preeta Samarasan

Née en Malaisie en 1976, Preeta Samarasan est partie aux Etats-Unis en 1992 pour  terminer ses études secondaires. Après un Master en musicologie, elle a obtenu une bourse de l'université du Michigan pour  suivre un Master en Creative Writing. Elle a publié des nouvelles dans différentes revues (Hyphen, Asia Literary Review...). Son premier roman, Et c'est le soir toute la journée, a été sélectionné sur les listes de l'Orange Prize et du Commonwealth First Book Award. Elle vit à présent en France avec son mari et sa fille, dans un petit billage de la Haute-Vienne.

Avec les mots de Preeta Samarasan

Pour les medias locaux et internationaux, la Malaisie est un très bon exemple de nation multiraciale où Malais, Chinois et Indiens cohabitent en parfaite harmonie. Mais en réalité, depuis 53 ans, la Malaisie est :gouvernée par un système qu'on pourrait tout simplement qualifier d'apartheid. Dès l'école, on inculque aux petits Malaisiens le principe du Ketuanan Melayu — la suprématie malaise — selon lequel la majorité malaise est maîtresse de la Malaisie et par conséquent mérite une place privilégiée.

L'Article 153 de la Constitution garantit "des droits spéciaux" aux Malais et si quelqu'un a l'audace de mettre en question ces droits, il risque d'être accusé de sédition et emprisonné.
A la suite des émeutes raciales de 1969 à Kuala Lumpur qui ont causé la mort d'au moins 200 personnes (selon les estimations officielles), un gouvernement radical malais est arrivé au pouvoir et a mis en place la nouvelle politique économique (NEP) dont l'objectif déclaré consistait à faire passer la part des Malais dans la richesse nationale de 2,4 % à 30%. La NEP, connue sous le nom de lois Bumiputera, le terme officiel désormais utilisé pour les communautés malaises et indigènes, privilégiait la majorité malaise pour tout ce qui concerne Ies postes gouvernementaux, le logement, l'éducation et a même imposé des quotas raciaux pour les emplois du secteur privé.

Bien que les gouvernements successifs aient modifié l'appellation de cette politique et même promis son abrogation, pour l'essentiel la NEP reste toujours en vigueur. Les meilleures écoles — la plus connue étant le Malay College de Kuala Kangsar, "l'Eton de l'Est" - sont uniquement ouvertes aux étudiants Bumiputera. Les autres candidats — les non-Bumiputera — sont censés passer un examen plus sélectif pour être admis dans les universités locales, si bien que leurs chances d'intégrer les facultés les plus compétitives, comme la faculté de médecine, sont quasi nulles. Certains terrains et lotissements sont exclusivement réservés aux Bumiputera qui bénéficient, en outre, d'une réduction de 7% sur tout achat immobilier.

Alors que ces lois affectent toutes les minorités, les Indiens sont de loin les plus touchés car l'immense majorité entre eux est pauvre, la plupart étant des descendants des serviteurs sous contrat amenés par le régime britannique.

Aujourd'hui, 53 ans après le départ des britanniques et l'indépendance de la Malaisie, la grande majorité des indiens vit dans des conditions sordides dans des plantations de caoutchoucs ou de palmiers, ou pire encore dans des bidonvilles.

C'est justement dans cette Malaisie-là que se déroule mon roman : ce pays d'inégalités profondes, destructrices.