Rubrique Livres du voyage en IndeDepuis l’époque du "Grand Tour", au XVIIIème siècle, la tradition des Britanniques de relater par écrit leurs voyages s’est perpétuée sans faiblir. Tant et si bien que ces relations de voyages ont même fini par donner naissance à un genre littéraire à part entière, reconnu de nos jours sous le terme de "travel writing"… Historien et journaliste d’origine écossaise, William Dalrymple (1) s’inscrit dans cette lignée d’écrivains voyageurs anglo-saxons qui, comme le veut la coutume, savent mêler érudition et humour pour le plus grand bonheur des lecteurs. Remarquablement documenté, vivant et drôle, son ouvrage intitulé "La cité des Djinns" s’avère un véritable régal : il fait partie de ces livres qui, en dépit d’une taille imposante, paraissent finalement trop court...

 

Au delà, "La cité des Djinns» relève avec talent un défi difficile : dresser un portrait de Delhi. D’autres écrivains, tel Khushwant Singh dans un roman ambitieux mais inégal (2), avaient déjà tenté ce pari, mais la capitale de l’Inde semblait toujours vouloir résister et se dérober au regard. Ce n’est d’ailleurs guère étonnant : les voyageurs qui connaissent l’Inde savent combien Delhi est une ville chaotique qui ne se livre pas facilement.

cit_des_djinns.jpgFasciné lui aussi par la gigantesque métropole, William Dalrymple a réussi à trouver une clef littéraire, tant dans la forme que dans le fond, qui permet de pénétrer dans les méandres de cette ville confuse et multiple. L’auteur tisse sous nos yeux un brocard à l’aide d’une double trame, l’une temporelle, l’autre spatiale. Au fil des rencontres et des évocations, des anecdotes et des descriptions, des citations et des découvertes, Delhi prend corps peu à peu dans toute son épaisseur historique, faite de grandeurs et de décadences successives.

Au rythme des saisons et des évènements qui marquent le calendrier indien, le lecteur suit pas à pas William Dalrymple dans ses investigations. Pour parvenir à entrer en contact avec les "djinns", autrement dit les esprits, qui ont hanté la ville au fil des siècles, l’auteur effectue un vrai travail de fourmi qui finit par porter ses fruits… Au fond d’une poussiéreuse échoppe, au gré d’une conversation avec un extravagant Delhi-wallah (habitant de Delhi), au détour d’une ruine oubliée, les dynasties qui hier forgèrent la cité renaissent de leur cendres et livrent leurs secrets. De la capitale du Raj à la moghole Shahjahanabad, de la musulmane Tughluqabad jusqu’à l’antique Indraprastha, les villes fantômes qui hantent la Delhi d’aujourd’hui resurgissent tour à tour.

Il aura fallu finalement une année entière au narrateur pour parachever ce voyage dans le temps. L’enquête prend fin dans un "temple obscur", où il lui apparaît soudainement que "la plus ancienne légende de Delhi a toujours cours"…C’est la mousson, dans quelques heures, il doit s’envoler pour l’Angleterre. La boucle est bouclée, les fils sont reliés.

Est-il nécessaire de le rajouter ? Arrivé au terme du récit, le lecteur n’a plus qu’une idée en tête : retourner à Delhi, très vite, pour pouvoir enfin découvrir à son tour, dans les pas de William Dalrymple, cette formidable "cité des Djinns" qui lui était jusqu’alors restée –  presque - invisible.

Titre : La Cité des Djinns : Une année à Delhi
Auteur : William Dalrymple
Editeur : Les Editions Noir Sur Blanc (18 Mai 2006)
Langue : Français
Pagination : 368 pages
Dimensions (en cm) : 15 x 3 x 24
ISBN : 2882501773
Prix : 23€ (21.85€ port compris chez notre partenaire Amazon.fr)

(1) Formé à Cambridge, William Dalrymple publie à vingt-deux ans le best-seller "In Xanadu". En 1989, il s’installe à Delhi où il passe quatre années à préparer son deuxième livre, "La cité des Djinns", qui remportera en 1994 le "Thomas Cook Travel Book Award" et le "Sunday Times Young British Writer of the Year Award". Outre "Dans l’ombre de Byzance" (2002), il a également publié en français, aux éditions Noir sur Blanc, "L’âge de Kali" (2004) et "Le Moghol Blanc" (2005). Membre de la "Royal Society of Literature" et de la  "Royal Asiatic Society", il partage aujourd’hui son temps entre Londres et Delhi. Son dernier ouvrage, "The Last Mughal: The Eclipse of a Dynasty, Delhi 1857", est paru à Londres en 2006 aux éditions Bloomsbury.

(2) "Delhi", Editions Philippe Picquier, 2003.