La Maison et le Monde, adaptation du roman de Rabindranath Tagore écrit en 1916, est le premier projet de film que Satyajit Ray ait envisagé de réaliser en 1948. Satyajit Ray abandonnera le projet lorsqu’un producteur lui demandera d’apporter des modifications dans son travail, sans savoir qu’il y reviendra trente-cinq ans plus tard. Enfant, Satyajit Ray a vu Tagore rendre visite à ses parents. Lui-même étudia la peinture et la musique à Santiniketan, l’université créée par Tagore. Il a consacré au poète un documentaire d’une heure, tourné trois de ses nouvelles réunies sous le titre Trois femmes, enfin adapté Charulata.
Une adaptation fidèle au roman
En portant à l’écran La Maison et le Monde, Satyajit Ray en a scrupuleusement conservé l’architecture : un palais au bord du Gange ; au centre de ce palais une femme : Bimala ; autour de ce palais, le monde. Mais le monde, à part deux ou trois scènes d’extérieur très brèves, nous ne le verrons guère qu’à travers les fenêtres de la maison : petits tableaux raffinés comme des estampes ou des miniatures d’autrefois. Car dans le roman, les récits entremêlés des trois protagonistes ne nous content guère que leurs conversations et leurs états d’âme. Et nous ne prenons connaissance des événements extérieurs qu’à travers ces conversations et ces états d’âme, c’est-à-dire par leur répercussion à l’intérieur de la maison et même à l’intérieur des êtres. La Maison et le Monde raconte l'histoire de trois personnages confrontés à l'émergence d’idées libérales et nationales en Inde. Il s'agit d'un discours à trois voix : Niknil, un maharadjah aux idées libérales, féru d'Occident, qui trouve sa voie dans la contemplation.
Bimala, son épouse à qui Niknil va permettre de s'émanciper, de quitter le cadre familial de la maison pour "découvrir le monde". Et enfin, Sandip, révolutionnaire hostile à la puissance anglaise et hébergé par Niknil, qui va tomber amoureux de Bimala. La résonance architecturale et géographique d’une telle distinction entre la maison et le monde se charge tout d’abord de réminiscences biographiques, aussi bien chez Ray que chez Tagore : "Il nous était interdit de sortir de l’enceinte de notre demeure, et même de pénétrer dans certaines pièces de la maison. De la nature, nous ne pouvions prendre quelques aperçus qu’au travers de nos barricades. Inaccessible, au loin, s’étendait cet espace sans limites, le dehors, dont par instant des reflets, des bruits, des parfums, pénétrant par des interstices, venaient me toucher. Ce dehors semblait me faire signe, m’inviter à venir jouer avec lui. Mais il était libre et moi, j’étais enfermé ; aucune rencontre entre nous n’était possible. L’attrait n’en était que plus poignant." (Souvenirs de Tagore écrit en 1912).
Les thèmes abordés dans l’œuvre
Si un pays colonisé a le droit -sinon le devoir- de revendiquer son autonomie, doit-il pour autant déifier la mère-patrie et se fermer à toute influence extérieure ? Non répond Nikhil, "Je suis prêt à servir mon pays. Mais je réserve mes adorations pour le Droit qui est bien plus grand que mon pays. Adorer son pays comme un dieu, c’est le vouer au malheur". De même, s’il est bon que la femme indienne puisse enfin échapper à l’esclavage domestique, sa liberté nouvelle lui fera courir le risque de retomber dans d’autres chaînes : celle de la passion. La beauté de La Maison et le Monde tient à l’imbrication subtile de ces deux thèmes, dont l’un est comme l’écho de l’autre. En effet l'écriture du roman colle au plus près des sentiments des trois protagonistes et la narration fait alterner le récit des trois personnages. Nous assistons à l'éveil des sentiments de Bimala qui découvre le monde après avoir été confinée dans la maison familiale. Alors que Sandip incarne la passion et l'action, Niknil, le mari, est un ascète platonicien qui prône la modération dans la lutte contre l'occupant anglais. D’ailleurs cette écriture de Tagore est brodée de métaphores imageant la folle passion de Sandip : rivière, volcan...Le lecteur est emporté par cette langue très sensuelle mais compatit à la souffrance du mari bafoué. Satyajit Ray, lui, a l’écran sublime les sentiments de l’individu, d’un couple : la pleine possession de la vie atteinte à l’heure du plus grand danger. Tagore brosse un magnifique portrait de femme qui s'émancipe au début du XXe siècle. Il porte une réflexion sur le rôle de la femme à la maison face aux réalités du monde et sur la résistance non violente. Le spectateur assiste au fil de l’histoire l’émancipation d’une femme recluse comme les autres et qui pourtant bouscule les traditions. Quant à la lutte contre l'occupation anglaise, elle est traitée tout en nuance. Le mari incarne la modération ; pour lui, la guerre ne peut qu'aboutir à des rixes entre différentes communautés. Il ne comprend pas non plus pourquoi on doit sacrifier l'individu aux intérêts d'un pays ; la patrie ne doit en aucun cas être idolâtrée. Pour Ray traiter des questions politiques en Inde était un désir profond : il le disait lui-même, "Cette réalité si poignante, elle ne demandait qu’à être traduite en langage cinématographique".
Titre bengali : Ghare-Baire
Titre français : La Maison et le monde
Titre anglais : Home and the World
Version originale en bengali
Année de sortie : 1984
Format : couleur
Durée : 2h20 (140')
Site officiel : www.films-sans-frontieres.fr/lamaisonetlemonde
Fiche technique
Réalisation : Satyajit Ray
Scénario : Satyajit Ray, d’après le roman La Maison et le Monde de Rabindranath Tagore
Photo : Soumendu Roy
Montage : Dulal Dutta
Décors : Ashoke Bose
Musique : Satyajit Ray
Son : Robin Sen Gupta, JyotiChatterjee, Anup Mukherjee
Une production National Film Development Corporation of India
Distribué par Films Sans Frontières
Distribution
Soumitra Chatterjee : Sandip
Victor Banerjee : Nikhil
Swatileelkha Chatterjee : Bimala
Gopa Aich : Belle-sœur de Nikhil
Jennifer Kapoor : Miss Gilby
Manoj Mitra : Le directeur de l’école
Indrapramit Roy : Amulya
Bimal Chatterjee : Kulada