Rubrique de la presse traitant de l'IndeLa revue Gradhiva, avec ce onzième numéro intitulé Grands Hommes vus d’en bas, propose d’aborder les images des grands hommes sous une perspective inédite. Par contraste avec les analyses déjà nombreuses consacrées à l’iconographie officielle, il s’agit de décaler le regard pour examiner comment la figure des hommes d’État fait l’objet d’appropriations qui échappent au registre de l’officiel tout en prenant appui sur lui. Ce changement de perspective permet de saisir les grands hommes non plus "par le haut", tels qu’ils se donnent à voir dans leur grandeur officielle, mais "par le bas", du point de vue des acteurs subordonnés...
Gradhiva n°11 - Les Grands HommesCes usages populaires des icônes politiques impliquent un jeu souvent ambigu avec le monde officiel. Selon les cas, il pourra s’agir de capter, de cannibaliser, de moquer, d’accommoder ou d’apprivoiser le pouvoir à travers ses effigies. Les usages populaires de la figure du grand homme constituent en définitive des actes d’invention qui ne laissent pas indemne le modèle officiel.

Par contraste avec les analyses déjà nombreuses consacrées à l’iconographie officielle du grand homme (les images du pouvoir par lui-même), ce dossier propose de décaler le regard pour examiner comment la figure du grand homme d’État fait l’objet de réappropriations qui échappent au registre de l’officiel tout en prenant appui sur lui. Qu’advient-il en somme de ces icônes politiques lorsqu’elles se mettent à fonctionner dans un régime non officiel de représentation ?

Les contributions portent ainsi sur les réappropriations "populaires" de diverses figures du grand homme, en tant qu’elles constituent une ressource symbolique efficace. Il s’agit d’étudier précisément ce jeu souvent ambigu avec l’imagerie officielle. Les modalités de la réappropriation peuvent en effet être diverses : imitation révérencieuse, simulacre ludique, détournement parodique, voire caricature subversive. Selon les cas, il s’agit de capter, de cannibaliser, de moquer, d’accommoder ou d’apprivoiser le pouvoir à travers ses effigies.

Gradhiva
Fondée en 1986 par Michel Leiris et Jean Jamin, Gradhiva est publiée par le musée du quai Branly pour sa nouvelle série. La revue se veut un lieu de débats sur l'histoire et les développements actuels de l'anthropologie fondés sur des études originales et la publication d'archives ou de témoignages. Gradhiva privilégie aussi l'étude et l'analyse d'objets réels ou symboliques ainsi que des problématiques muséologiques et anthropologiques. Surtout, elle est ouverte à de multiples disciplines : l'ethnologie, l'esthétique, l'histoire, la sociologie, la littérature ou encore la musique. Elle s'attache enfin à développer par une iconographie souvent inédite et singulière une interaction entre le texte et l'image.

Ces réappropriations de la figure du grand homme constituent des actes d’invention qui ne laissent pas indemne le modèle officiel. Dans certains cas, la figure d’un grand homme continue à servir de support à un discours politique. L’existence éventuelle d’un contrôle par certains agents peut alors expliquer que le grand homme reste lié ou non à sa signification officielle d’origine (et que ses représentations restent en conformité ou non avec l’esthétique officielle). En Inde, des statues artisanales d’Ambedkar, un homme d’Etat "intouchable", font par exemple l’objet d’un culte populaire qui mêle dévotion et militantisme. Dans d’autres cas, l’écart entre la figure officielle et sa réappropriation est tel que le grand homme en ressort métamorphosé et se met à jouer un rôle inattendu : il en va ainsi de Chirac ou de Gaulle qui occupent la place des ancêtres dans des mascarades rituelles au Gabon. La réflexion sur ces écarts implique par conséquent de prêter attention à l’ensemble de la chaîne, depuis la fabrication de ces icônes jusqu’à leurs usages populaires.

Ce dossier privilégie ainsi une approche résolument ethnographique. Il ne s’agit pas d’envisager le terme de « représentation » en un sens abstrait, mais bien comme une image matérielle (que cela soit une statue, une peinture, un masque ou une photographie) dont on étudie avec attention les propriétés esthétiques, mais aussi la fabrication et les divers usages. Loin d’être simplement un prétexte ou une illustration, l’iconographie est analysée en prenant en compte les contextes précis dans lesquels ces images se trouvent prises et au sein desquels elles produisent des effets. Il s’agit d’étudier en détail ce que les gens font avec les images et ce que les images font faire aux gens.

Un dossier coordonné par Julien Bonhomme et Nicolas Jaoul

Le dossier Grands hommes vus d’en bas est né de la rencontre entre Julien Bonhomme et Nicolas Jaoul au musée du quai Branly. Julien Bonhomme, directeur adjoint du département  de la recherche et de l’enseignement, a rencontré Nicolas Jaoul lorsqu’il était boursier au musée. Ils ont découvert des points communs entre leurs recherches réciproques, au Gabon et en Inde, sur les usages populaires de l’iconographie officielle et ont ensemble décidé de monter ce dossier pour Gradhiva.

Julien Bonhomme est anthropologue et directeur adjoint du département  de la recherche et de l’enseignement du musée du quai Branly. Ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, agrégé de philosophie, il mène des recherches de terrain au Gabon depuis 2000. Il a notamment publié Le Miroir et le crâne. Parcours initiatique du Bwete Misoko (Gabon) (Paris, éd. CNRS, 2006) et Les Voleurs de sexe. Anthropologie d'une rumeur africaine (Paris, éd. Seuil, 2009).

Nicolas Jaoul est chercheur en anthropologie au CNRS, rattaché à l’Institut de Recherche Interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS, EHESS) et chercheur associé au centre d'Etudes de l'Inde et de l'Asie du Sud. Son ethnographie politique porte sur le rapport des défavorisés (en particulier les dalits, ou "intouchables") à la démocratie en Inde, à travers des enquêtes de terrain dans des mouvements d’obédience idéologique différente (nationalistes hindous, gandhiens, ambedkaristes, maoïstes). Il se penche en particulier sur le rôle de la culture matérielle du militantisme, notamment la littérature militante, l’iconographie et la statuaire.

Julien Bonhomme et Nicolas Jaoul
Grands Hommes vus d’en bas. [Texte intégral]
L’iconographie officielle et ses usages populaires
Great men, the view from below. Official iconography and its popular uses

Nicolas Jaoul
Les statues d’Ambedkar en Inde [Texte intégral disponible en mai 2013]
Répliques artisanales d’un monument et usages subalternes de l’officialité
Ambedkar statues in India. Handicraft replicas of a monument and subaltern uses of officialty

Emmanuel Grimaud
Grande âme cherche corps sur mesure [Texte intégral disponible en mai 2013]
Des animas en général et du sosie de Gandhi en particulier
Great soul seeks made-to-measure body: of animae in general and, more particularly, of Gandhi’s look-alike

Julien Bonhomme
Masque Chirac et danse de Gaulle [Texte intégral disponible en mai 2013]
Images rituelles du Blanc au Gabon
Chirac’s mask and de Gaulle’s dance. Ritual Images of the “White Man” in Gabon

Nicolas Menut
Les vérités contrariées du totem Lincoln [Texte intégral disponible en mai 2013]
The Vexed Truths of the Lincoln Totem

Béatrice Fraenkel
L’affiche Hope [Texte intégral disponible en mai 2013]
Portrait d’Obama comme Géant et comme virus
The Hope poster. Obama as giant and as virus

Frédéric Maguet
Le portrait de Che Guevara [Texte intégral disponible en mai 2013]
Comment la parole vient à l’icône
The portrait of Che Guevara. How an icon is given voice

Titre : La revue Gradhiva
Éditeur : Musée du quai Branly
Parution : 19 mai 2010
Format : 240 pages couleurs - broché
ISBN : 978-2357440258
Prix public : 20€ (19€ à la librairie indeaparis.com )